Bonjour à tous,
voici un petit compte-rendu de notre Ğeconomicus, et si je le poste dans communication et pas dans notre groupe local, c’est simplement parce qu’on a testé une version modifiée et que j’aimerais bien avoir vos réactions. Désolé si c’est un peu long mais sans vouloir me jeter des fleurs il me semble que cette innovation est vraiment importante - et si je la mets au milieu d’un compte-rendu de Ğeconomicus, c’est pour placer l’expérience dans son contexte.
Généralités sur la partie
Nous n’avions que 8 joueurs (dont plusieurs joueurs aguerris, merci à @jeanferreira et son fils de nous avoir rejoint !), ce qui peut fausser un peu les résultats par rapport à d’autres Ğeconomicus, mais c’était néanmoins une expérience intéressante qui mériterait à mon avis d’être réitérée. C’était une partie « pas comme les autres » (comme la plupart des parties !) mais avec une conclusion « comme les autres » (et ce de manière très nette).
Tout le monde a utilisé les porte-cartes sans remonter de plaintes, la version 2 semble donc être la bonne ! Le mélangeur de cartes est vraiment à revoir en élargissant la fente dans laquelle sont insérées et retirées les cartes :
Nous avions pour banquière Édith et pour animateur Thomas, qui n’avaient jamais animé auparavant, le tout en utilisant mon logiciel, qu’ils n’avaient jamais utilisé auparavant non plus. Il y a bien eu quelques difficultés et hésitations pendant les premiers tours, vite résolus.
Nous avons géré les morts pendant que les autres jouent (méthode d’Éloïs), ce qui était un choix assez malheureux, car comme il y avait déjà peu de joueurs, nous en avons de facto enlevé un supplémentaire. Nous avons conservé ce fonctionnement pour les deux parties afin de ne pas fausser la comparaison, même si ce n’était pas idéal.
Partie en monnaie-dette
La partie en monnaie-dette (que j’ai jouée en tant que joueur) a été jouée normalement, même si nous avons introduit temporairement un carré de cartes aux tours 2 et 3 car il manquait souvent des cartes à la pioche. Cela a néanmoins probablement limité un peu la croissance de la création de valeur en monnaie-dette par rapport à d’autres parties que j’ai pu jouer ou animer, même si de toute façon l’absence de monnaie bloquait une grande partie des échanges. La banque a été assez arrangeante, ce qui n’a pas empêché des périodes d’asséchement monétaire (un tour a été joué avec 2 pièces en circulation au total).
Les graphiques résultants sont semblables à ce qu’on peut voir dans d’autres parties de Ğeconomicus en monnaie dette, avec une création de valeur légèrement moindre, et des gains de la banques moindres aussi puisqu’elle avait moins de joueurs à exploiter.
Sans surprise, la masse monétaire est en dent de scie, avec deux asséchements monétaires importants (que j’ai bien ressentis en tant que joueur…).
Innovation proposée pour gérer la partie en monnaie libre
Pour la partie en monnaie libre, j’avais donc préparé une gestion nouvelle, merci à nos deux animateurs de bien avoir voulu jouer le jeu !
Je suis parti du constat qu’une proportion non négligeable de joueurs éprouve des problèmes avec la rotation des couleurs. J’entends régulièrement ce refrain lors des ressentis de fin de partie : « La monnaie libre, c’était plus cool, mais c’était compliqué et je me suis emmêlé les pinceaux avec la monnaie… d’ailleurs je suis pas sûr d’avoir toujours échangé la monnaie de la bonne couleur pour acheter mes cartes… » Tout ça malgré un vidéoprojecteur indiquant clairement la valeur courante de chaque couleur pendant la partie. La gymnastique mentale de recâbler le cerveau à chaque tour demandée aux joueurs les déconcentre très clairement de ce qui nous concerne : faire des échanges et expérimenter la monnaie. C’est d’ailleurs un frein introduit totalement artificiellement par des contraintes techniques exclusivement liées à la monnaie physique utilisée dans le jeu, car cette contrainte n’existe pas du tout dans l’utilisation de la monnaie libre « dans la vraie vie » quand on utilise Duniter (on ne change pas de « couleur » de Ğ1 tous les jours ni même tous les ans, le DU reste stable et point final…).
Certains pourront dire qu’il n’y a pas de problème, c’est leur ressenti. Mais l’ex-prof que je suis sait très bien que dans une classe il y a toujours des élèves qui sont perturbés par certaines méthodes (ce qui ne veut pas dire qu’ils sont mauvais, c’est juste qu’ils réfléchissent d’une manière qui n’est pas compatible avec la méthode), alors il s’agit de trouver la méthode qui ne va pas en laisser sur le carreau plutôt que de dire à ceux qui ont du mal que c’est pourtant facile et qu’ils sont nuls. Le besoin est simple ici : éviter les rotations de couleurs pour que tous les joueurs puissent se concentrer sur les échanges monétaires et la création de valeur. Au lieu de ça, la gymnastique de rotation doit être faite entre les tours et avec l’aide de l’animateur-banquier (comme le fait Duniter dans la vraie vie). Il fallait juste trouver un moyen facile et rapide de faire les calculs pour que la personne qui gère la monnaie s’y retrouve facilement et que les joueurs comprennent ce qui se passe.
J’ai mis au point la fiche imprimée suivante (à noter qu’on joue avec des jetons valant 2, 1 et 0,5, soit la moitié des valeurs des billets préconisées dans les règles, donc 2 fois plus de jetons, avec l’avantage qu’on peut facilement échanger une carte contre un jeton de valeur 2 et un de valeur 1, ce qui fait qu’on n’a pas de jetons de valeur 4, peu pratiques pour échanger des cartes de valeur 3 de toute façon) :
Dans la partie gauche, on voit les jetons tels qu’ils étaient au tour qui vient de se terminer. Les joueurs posent leurs jetons dans la troisième colonne en regard des couleurs de la deuxième colonne :
L’animateur fait ensuite les actions suivantes :
- il pose les deux nouveaux jetons représentant le DU dans la première ligne (ici violette),
- il pose ensuite le même nombre de jetons dans les deux lignes suivantes que le joueurs en a posé, seule la couleur change, on divise alors par deux la monnaie possédée par le joueur,
- il rajoute un nouveau jeton de valeur faible pour chaque paire de jetons de l’ancienne valeur faible dans la dernière ligne.
Le joueur récupère alors ses jetons dans la quatrième colonne du tableau :
La « rotation des couleurs » se fait donc bien à l’inter-tour et est effectuée par l’animateur, qui fait office de logiciel de gestion de la monnaie. Pendant le tour, les couleurs restent du coup les mêmes pour les joueurs, dans notre cas les jetons violets ont toujours valu 2, les jaunes (blancs en réalité mais jaune était plus facile à représenter dans mes copies d’écran ici) ont toujours valu 1 et les vertes toujours 0,5. C’était donc ancré dans la tête des joueurs du début de partie à la fin qu’une carte faible valait par exemple un jeton violet et un jaune, ou bien 3 jaunes. Plus de questions à se poser. Comme dans la vraie vie. Une carte faible = 3 DU, et hop.
L’autre avantage est que chaque joueur doit montrer toutes ses pièces aux animateurs à chaque tour, ce qui permet de les compter et de les rentrer dans le logiciel, qui peut alors calculer la masse monétaire en monnaie libre de manière exacte (c’est l’animateur qui rentre les données pendant que le « banquier » manipule les jetons, ça va très vite). En modifiant encore un peu le logiciel, celui-ci pourrait aussi détecter facilement les tentatives de fraude, puisqu’il connaît le nombre exact de pièces distribuées et retirées. Sachant que dans les parties avec les règles officielles, on ne peut pas empêcher un joueur de planquer des pièces faibles dans sa poche pour les ressortir au tour suivant alors qu’elles sont devenues les nouvelles pièces fortes.
Le seul inconvénient de cette nouvelle méthode est que c’est légèrement plus lent que la méthode habituelle, ce qui n’est pas gênant car les parties en monnaie libre sont très rapides. Nous avons fait la partie en monnaie libre en moins de deux heures, malgré une petite période de rodage pour que les animateurs s’habituent au système de rotation monétaire et intègrent ma feuille dans leur tête. L’avantage étant que les nœuds sont dans les cerveaux des animateurs (qui sont formés et ont tout le temps de s’y préparer) et non dans les cerveaux des joueurs pendant qu’ils font leurs échanges.
Partie en monnaie libre
Je n’ai pas joué en tant que joueur dans la partie en monnaie libre, un joueur arrivé pendant la pause de midi m’a remplacé. J’ai aidé les joueurs à mélanger les cartes avec le mélangeur, ce qui a sûrement un peu accéléré les échanges. Mais surtout, j’ai pu observer de l’extérieur le déroulement de la partie, et j’ai été frappé d’emblée par la vitesse d’apparition de cartes de valeur moyenne puis forte. Au 5ème tour, un joueur avait déjà 3 cartes fortes identiques et donc pas loin de la rupture technologique (que nous n’avons pas faite, il a simplement fait son carré et pris deux cartes fortes supplémentaires puis il est mort peu après ). La différence de dynamique par rapport à la partie en monnaie dette était plus que flagrante. Le fait qu’il y ait eu peu de joueurs (qui pouvaient donc échanger rapidement) et la facilité d’échanger des cartes contre de la monnaie sans se poser de questions sur la valeur des couleurs a tout simplement fait exploser les échanges.
Les graphiques de fin de partie ressemblent dans l’ensemble à n’importe quelle autre partie en monnaie libre :
Comparaison des deux parties et bilan
C’est en comparant les deux parties que la surprise arrive :
Un joueur en monnaie libre a fait largement mieux que la banque en monnaie dette, et les créations de valeurs les plus basses en monnaie libre étaient largement au-dessus des plus grosses créations de valeurs (hormis la banque) en monnaie dette. La création de valeur moyenne a été doublée en monnaie libre. J’avais vu l’explosion de la création de valeurs dans la partie en monnaie libre avec la foison de cartes moyennes et fortes, mais je ne m’attendais quand même pas à un tel écart global. De là à penser que de « libérer les esprits » de la rotation des couleurs de monnaie ait largement contribué à cette explosion, il n’y a qu’un pas. Il y a certainement d’autres facteurs, comme le fait que nous ayons eu peu de joueurs (facilité d’échange qui donc pas bridés par la monnaie ont pu s’en donner à cœur joie), mon aide au mélangeur, et la petite erreur d’ajout de cartes pendant deux tours en monnaie dette (qui à mon avis n’a pas eu tant d’influence que ça).
D’où le fait que je pense que c’est une piste intéressante à développer dans d’autres parties peut-être plus « orthodoxes » que la nôtre d’aujourd’hui pour avoir peut-être des retours moins biaisés.
Bilan final du ressenti des joueurs :
- stress de manquer de monnaie en monnaie-dette, conservation coûte que coûte de ses jetons pour rembourser les intérêts, course pour avoir de la monnaie,
- partie en monnaie libre beaucoup plus sereine qu’en monnaie-dette, les joueurs étaient particulièrement détendus en monnaie libre même s’il restait un esprit de « gagne » cristallisé par les écarts finaux de création de valeurs par les différents joueurs, c’est le jeu !
- non seulement ils n’avaient pas d’angoisse de manquer de monnaie en monnaie libre, ils se sont même plaints que c’était presque « de la triche » d’avoir autant de monnaie en circulation et que les deux parties étaient difficilement comparables, il a fallu leur faire réaliser que ce n’était pas la monnaie libre le problème, mais bel et bien les asséchements monétaires produits par la monnaie-dette, ainsi que leur faire comprendre que la masse monétaire importante en monnaie libre devait être divisée par 3 puisque les cartes valent trois fois plus d’unités monétaires qu’en monnaie dette (j’en ai aussi profité pour corriger un petit bug introduit par la nouvelle version d’aujourd’hui),
- aucune plainte de difficulté à comprendre le système en monnaie libre ou à utiliser les couleurs, ils ont tous bien compris l’opération de la dépréciation de leur monnaie et de la création du DU à chaque tour, et les échanges étaient simples à faire,
- remarques sur le fait qu’il n’est vraiment pas avantageux en monnaie libre de garder la monnaie pour soi, mais qu’il faut la faire circuler au maximum, ce qui n’a pas été appréhendé de manière négative, c’était un simple constat,
- pas de questions ou d’inquiétudes sur la thésaurisation monétaire (les fameuses « mais je fais comment pour épargner ? »), au contraire propositions de systèmes collaboratifs « bancaires » pour permettre de réaliser des projets d’envergure (tant pour les particuliers que pour les structures plus grosses),
- certaines craintes relatives à l’environnement, parce que la monnaie libre facilite les échanges et donc potentiellement la pollution, nous leur avons fait comprendre que les échanges dans la vie réelle en monnaie libre seraient probablement de différentes natures qu’en monnaie-dette (absence de course pour avoir de la monnaie).
La rencontre s’est terminée par des discussions sur la toile de confiance, la licence et la vision long terme du projet.